Claude Rivière, agrégée de lettres, journaliste et directrice de la Radiodiffusion française à Shanghaï, fit la connaissance de Pierre Teilhard de Chardin à Pékin, en 1938. C’est seulement en 1968, donc treize ans après la mort de Teilhard, qu’elle publie En Chine avec Teilhard (1938-1944). Elle se justifie dans l’Avant-propos en écrivant : « Depuis la mort du Père, j’assiste, avec consternation, à la formation d’une légende concernant l’ami que j’ai connu. », et  cherche  à « lui restituer son vrai visage ». Elle nous confie quelques  lettres reçues de lui.  

Chère Claude,
[…] Ne cherchez pas trop, ni prématurément, à pénétrer et à anticiper l’avenir, Claude, mais fiez-vous à lui (dans la mesure où il est chargé, pour chacun de nous, de l’action créatrice divine) ; et, pour que cette confiance elle-même ne soit pas paresseuse, mais conquérante, attachez-vous à vivre, en pleine fidélité et en pleine conscience, le moment présent. C’est cette succession de pas, faits un à un, dans la confiance et l’espérance, qui nous mènent, l’un et l’autre, là où nous ne savons pas. Après bien des tâtonnements, je n’ai pas trouvé de meilleure formule, en ce qui me concerne, pour définir et guider ma vie intérieure que celle-ci (où se résume tout le ‘’Milieu Divin’’) : ’’Communier au Devenir’’, dans la mesure où celui-ci exprime à chaque instant la totalité de l’action aimante et personnalisante de Dieu sur nous, à travers l’Univers.
            C’est dans cette communion, poursuivie en commun, que nous nous trouverons, que nous nous suivrons, et que nous convergerons. Pour cet effort, pas besoin de métaphysique, mais seulement le soin normal et pacifiant de mettre de l’unité en soi : entre l’intelligence, le cœur et l’action. Ceci, bien sûr, signifie étude et réflexion. Mais ceci, surtout, est affaire de prière, et de bonne volonté, et d’attente, sous une certaine lumière, dans une certaine vision. C’est cette lumière, c’est cette vision, que nous devons chercher, en commun, à développer en nous  – chacun suivant la forme qui est la nôtre. Moi, je m’appuie sur une certaine perspective passionnée de la Matière, qui m’a (je vous l’ai dit) nativement séduit. Vous, vous construisez plutôt sur une certaine perception esthétique et lyrique du Monde. – Restez pleinement vous-même, et considérez que la somme de vos expériences passées est l’étoffe spiritualisable de l’esprit qui naît en vous. Du passé, ne retenez (mais retenez bien !) que les impulsions multiformes qui tendent à vous chasser en avant. De ce point de vue, rien n’est inutile, rien n’est vide, rien n’est regrettable dans le Passé, – pourvu que nous ramassions et refondions le tout dans un geste de ‘’communion’’ en avant. […]
A bientôt d’autres nouvelles.

De tout coeur
Yours
Pierre

[En Chine avec Teilhard 1938-1944, Seuil, 1968, p.227] 
Proposition de Francine Renaudeau, Groupe de lecture de La Baule-Escoublac.