En débarquant hier, j’ai trouvé votre lettre. Comme Je voudrais être plus qu’un homme, pour vous rassurer, et pour guérir celui que vous aimez tant.
Je crois, vous le savez, que le Monde est une immense chose plastique aux influences de l’Esprit. Nous banderons donc nos désirs, pour que le Principe, nécessairement bon, qui suranime toutes choses, rende à votre ami ses forces. Ce désir, et cet espoir, et cette supplication pour le bien immédiat et tangible, c’est le premier devoir, que l’Evangile lui-même nous enseigne.
Mais, dans notre Univers présent, rien, c’est trop clair, ne peut absolument résister, mais tout doit céder tôt ou tard aux forces de la mort. Votre amour de la vie est une puissance saine et magnifique, et vous devez conserver jalousement cet esprit de résistance aux amoindrissements physiques, qui vous aide à traverser le Mal. Mais, dans votre attitude, il manque encore quelque chose : vous n’êtes pas encore arrivée à aimer assez toute la Vie, tout l’Univers, pour accepter (le moment inévitable étant venu) de diminuer (en apparence) et de passer amoureusement en lui. Nous devons lutter de toutes nos forces contre la mort, car c’est notre devoir essentiel de vivant. Mais quand, en vertu d’un état de choses (transitoire, sans doute, – mais inévitablement lié à l’état de croissance du Monde) la mort nous prend, il nous faut avoir ce paroxysme de foi en la Vie qui nous fasse nous abandonner à la mort comme à une tombée dans la plus-Vie. Aimer tellement la Vie, et nous fier tellement à elle, que nous l’embrassions et nous y jetions même à travers la mort, – voilà la seule attitude qui peut vous calmer et vous fortifier : aimer follement le plus grand que soi. Toute union, surtout à un plus grand, entraîne une espèce de mort à soi-même. La mort n’est acceptable que si elle représente le passage (physiquement nécessaire) à une union, – la condition d’une métamorphose.
Accomplir l’Homme. Grasset, 1968, p. 97-98.
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