De Paris, le 20 avril1919 – Vendredi saint
Chère Marg,

J’ai bien reçu ta carte de mardi, et il me semble que, pour y répondre, je ne puis pas tomber sur un meilleur jour que celui-ci. En t’écrivant, je rapproche ma pensée de la tienne, sous l’influence la plus vive qui soit ici-bas (celle de NS. mourant), – et il se trouve que ma lettre t’arrivera, j’espère, le matin de Pâques. Je veux croire que ce matin-là, il y aura du soleil et de la paix dans ton cœur, quelles que soient les circonstances extérieures – la paix qui naît de la confiance en Celui qui a vaincu la mort, c’est-à-dire qui peut faire que toute diminution subie par nous se transforme en accroissement de vie en Lui. Tu étais sûre, n’est-ce pas, que je prendrais part à ton souci, en apprenant que tu as trouvé Robert en une moins bonne période. Je voudrais bien que de ce côté-là Pâques, aussi, amène du mieux, et dissipe (autant que possible) les impressions fâcheuses, pour Robert et pour toi. Vois-tu, Marg, plus je sens, profonde, mon affection pour toi, plus je désire te voir solidement, profondément, fixée en Dieu seul. Je vois tellement clairement que ni toi, ni moi, moins que personne nous ne pouvons être heureux autrement. Pendant ces jours saints, je suis moins recueilli que je ne voudrais. Paris est un mauvais endroit pour s’isoler. Tout de même, j’ai été frappé de l’insistance avec laquelle l’Eglise fait répéter à tout bout de champ cette parole « Christus factus est obediens usque ad mortem crucis [Christ a été obéissant jusqu’à la croix de mort] » .  Evidemment, c’est le sens précis et profond de la croix : l’obéissance, la soumission à la loi de la vie. Travailler patiemment jusqu’à la mort, – et accepter tout, amoureusement, la mort inclusivement : voilà l’essence du Christianisme. – Plus que jamais, laisse tomber, crois-moi, tout regret inutile pour le passé, et toute inquiétude vague sur l’avenir. Préoccupe-toi seulement d’être obéissante à Dieu,  et mesure, au jour le jour, suivant que se manifeste sa volonté. Je vais aller, dans une demi-heure, entendre un bout de chants à St-Germain-l’Auxerrois. Après, je ferai un Chemin de Croix. Je songerai, à ce moment que nous sommes deux devant NS., qui nous abandonnons une fois de plus en Lui, pour qu’Il nous mène là où Il  veut. […]
Très à toi. Pierre

De Paissy, le 5 avril1917 – Samedi saint
Chère Marg.
 […] Ma semaine sainte a vraiment été bien distraite, et je me reproche de n’avoir pas su mettre, dans l’atmosphère de labeur et de peine où tant d’hommes se meuvent autour de moi, tout l’esprit de renoncement et de compassion qu’il eut dû être si facile avec un peu de foi, de puiser dans ces anniversaires de la Passion. Il est toujours difficile de donner aux réalités surnaturelles, dans notre âme, une consistance qui leur permette de contrebalancer le poids des réalités palpables ! En songeant hier, Vendredi-Saint, au petit nombre de poilus, parmi la fourmilière qui travaille ici, qui songeaient à offrir à Dieu leurs multiples souffrances, souffrance de la boue, souffrance du danger, souffrance de l’inconnu et des blessures…, je me suis dit que Dieu peut-être, pour que toute cette masse soit sanctifiée et utilisée, se contente de l’offrande et du sacrifice conscients de quelques âmes plus éclairées, – par lesquelles tout fermente. Prie bien pour que je sois de celles-là, autant que NS le veut. […]
Bien à toi. Pierre