Du bateau S. S. Tjinegara, le 22 janvier 1936. Teilhard est en route vers la Chine, de retour d’Inde et de Java. Il s’interroge sur le sens de son travail de paléontologie.
Ainsi, tout va bien. Je sors de cette expérience nouvelle avec la conviction accrue que nous n’avons rien de mieux à faire dans la vie que de prendre et de suivre les fils qu’elle nous tend. Pas à pas, vers quelque chose que nous ne voyons pas, mais qui est sûrement, là, en avant, comme le Monde existe.
De Paris, le 19 avril 1948.
Ne vous tendez pas contre la souffrance. Tâchez de fermer les yeux et de vous abandonner comme à une grande énergie aimante. Cette attitude n’est ni faible ni absurde ; – c’est la seule qui ne puisse pas nous tromper, – à moins que l’être même ne soit en soi une chose contradictoire et stupide, – ce que son existence dément. C’est sans doute encore trop t6t pour vous, pour vous relever : tachez de « dormir », dormir de ce sommeil actif de la confiance, qui est celui de la graine, en hiver dans les champs…
Je vous le répète aussi : c’est cela la vraie et grande prière des moments de grande maladie.
De Paris, le 3 décembre 1948. Pierre Teilhard rentre d’un voyage à Rome où il a subi un double refus : la publication du Phénomène humain et sa candidature au Collège de France.
Dans mon âme, comme sur la mer, les tempêtes ne s’apaisent que par une suite de lames amorties. Tenez bon, en direction de la confiance, non pas exactement au Monde, mais au « cœur du Monde », –c’est-à-dire au Foyer de convergence en direction duquel nous tombons, j’en suis convaincu, sous une attraction plus irrésistible et aussi universelle que celle imposée aux corps sidéraux par la courbure einsteinienne. Je ne vis guère plus que de cela, moi-même.
[Extraits de Accomplir l’Homme. Lettres inédites (1926-1952), Grasset, 1968, p. 110, 126, 130-131]