Dans Le Phénomène humain, Teilhard décrit un amour universel « capable d’embrasser la totalité des hommes et de la Terre ». Regardons, comme il aime à le faire, le Dedans des choses, à propos des actions des personnels soignants envers les malades du Covid 19, actions pour lesquelles nous les remercions tous les soirs à 20 heures depuis nos maisons.
Cet extraordinaire dévouement des soignants, nous montre à quel point des hommes et des femmes sont capables de se surpasser et de mobiliser toutes leurs forces de courage et de ténacité, au péril de leur vie, et au-delà de ce qui était pensable et même possible avant la pandémie. N’est ce pas le signe de « cet instinct irrésistible qui (nous) porte vers l’Unité » – l’unité de la cause commune de guérison des malades – et que la passion – passion de la fraternité humaine poussée jusqu’à l’amour humain – exalte ?
Cet amour humain, porté au-delà de la stricte conscience professionnelle, cet amour altruiste dépassant les formes communément admises dans le courant de nos vies, cet amour-passion ou mieux cet amour-compassion des personnels soignants, n’est -il pas l’amour universel ou l’Amour-Énergie dont nous parle Teilhard ? R. Mayet
Relisons un extrait du Phénomène humain (Editions du Seuil, 1955, p. 293-298. Edition de poche, p. 265-269)
« De l’amour nous ne considérons d’habitude (et avec quel raffinement d’analyse !) que la face sentimentale : les joies et les peines qu’il nous cause. C’est dans son dynamisme naturel et dans sa signification évolutive que je me trouve conduit à l’étudier ici, afin de déterminer les phases ultimes du Phénomène humain.
Considéré dans sa plaine réalité biologique, l’amour (c’est-à-dire l’affinité de l’être pour l’être) n’est pas spécial à l’Homme. Il représente une propriété générale de toute Vie, […]
L’amour sous toutes ses nuances, n’est rien autre chose, ni rien moins, que la trace plus ou moins directe marquée au cœur de l’élément par la Convergence psychique sur soi-même de l’Univers.[…]
Seul l’amour, pour la bonne raison que seul il prend et joint les êtres par le fond d’eux-mêmes, est capable, – c’est là un fait d’expérience quotidienne, – d’achever les êtres, en tant qu’êtres, en les réunissant. […]
L’Humanité ; l’Esprit de la Terre ; la Synthèse des individus et des peuples ; la Conciliation paradoxale de l’Elément et du Tout, de l’Unité et de la Multitude : pour que ces choses, dites utopiques, et pourtant biologiquement nécessaires, prennent corps dans le monde, ne suffit-il pas d’imaginer que notre pouvoir d’aimer se développe jusqu’à embrasser la totalité des hommes et de la Terre ?
Or, dira-t-on, n’est-ce point là justement que vous mettez le doigt sur l’impossible !
Tout ce que peut faire un homme, n’est-il pas vrai, c’est de donner son affection à un ou à quelques rares êtres humains. Au-delà, dans un rayon plus grand, le cœur ne porte plus, et il ne reste de place que pour la froide justice et la froide raison. Tout et tous aimer : geste contradictoire et faux, qui ne conduit finalement qu’à n’aimer rien.
Mais alors, répondrai-je, si, comme vous le prétendez, un amour universel est impossible, que signifie donc, dans nos cœurs, cet instinct irrésistible qui nous porte vers l’Unité chaque fois que, dans une direction quelconque, notre passion s’exalte ? […]
Un amour universel : non seulement il est chose psychologiquement possible ; mais encore il est la seule façon complète et finale dont nous puissions aimer. […]
… – pour que s’opère la conspiration des monades humaines, – il faut et il suffit que, prolongeant notre science jusqu’à ses dernières limites, nous reconnaissions et acceptions, comme nécessaire pour fermer et équilibrer l’Espace-Temps, non seulement quelque vague existence à venir, mais encore (…) la réalité et le rayonnement déjà actuels, de ce mystérieux Centre de nos centres que j’ai nommé Oméga. »