Michel COOL, journaliste et écrivain, producteur à France Culture, établit un parallèle remarquable entre la messe dite chaque martin par le pape François et diffusée sur KTO (lien vers la messe du 8 mai 2020), pendant cette si particulière période du confinement, et La Messe sur le Monde de Pierre Teilhard de Chardin s.j..
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Depuis la mi-mars, des millions de téléspectateurs confinés à travers le monde pour échapper au Covid-19, regardent, en direct ou en différé, sur leur télévision ou leur ordinateur, la messe quotidienne célébrée chaque matin par le pape François dans la chapelle de la Résidence Sainte-Marthe au Vatican. Cette retransmission voulue par le pape lui permet de garder un lien avec les fidèles: le « peuple saint des fidèles de Dieu » a toujours été la motivation et la joie de Jorge Bergoglio dans ses activités de prêtre, d’évêque puis de pape. Si dès le jour de son élection, il a préféré habiter dans un petit appartement de la résidence hôtelière du Vatican plutôt que dans le traditionnel logis pontifical, rappelle son biographe Austen Ivereigh*, ce n’était pas pour fuir le confort, mais l’isolement qui caractérisa le pontificat de son prédécesseur.
Seul à l’autel comme un simple curé
Selon des estimations, quinze millions d’Italiens seraient assidus à cette messe ordinairement célébrée sans caméras et devant des invités triés sur le volet. La direction de KTO, qui la diffuse aussi sur Internet, évalue entre 3 à 4 millions le nombre des participants francophones à cette paroisse virtuelle mondiale du pape François. Le fait qu’un pape puisse jouir d’une proximité et d’une audience aussi considérables, pendant plusieurs semaines d’affilée, est unique dans l’histoire.
Ce n’est pas la première fois qu’un pape s’impose à l’écran en « curé de la planète ». Globe-trotter infatigable et doué d’un sens inné de la communication et du spectacle, Jean-Paul II fut un précurseur de l’ère « cathodique » de la papauté. Il attira à lui des foules immenses sur les cinq continents: longtemps, il détint le record d’avoir célébré la plus grande messe de tous les temps, en 1995, devant 5 millions de Philippins à Manille. Cet exploit fut battu dans la même capitale, vingt ans après, par François quand il réunit en janvier 2015, plus de 6 millions de fidèles, malgré une pluie tropicale battante.
Les victimes sont des »Terres sacrées »
Les images télévisées de Sainte-Marthe ont un autre grand impact: elles révèlent à des millions de téléspectateurs étonnés et séduits, selon un audimat en progrès constant, un François seul à l’autel, en simple curé et sans cérémonial. Ils écoutent ses homélies dites avec un art consommé de l’improvisation. Le pape les a préparées juste après son lever matutinal, en méditant la liturgie du jour. Un travail d’orfèvre qu’il pratique depuis son entrée chez les jésuites, il y a 62 ans. Devant une assemblée limitée à son entourage, François prêche en feuilletant son lectionnaire, semblant oublier la caméra. Sur le ton familier de la conversation, que recommandait Paul VI, son modèle, François décline son message, ses idées fixes: la miséricorde, l’amour des pauvres, le dialogue, la conversion à l’Evangile, la cohérence de vie, la créativité missionnaire A l’eucharistie, il invite les téléspectateurs à s’unir au Christ en disant une prière : cette « communion spirituelle » est habituellement réservée aux personnes âgées, malades ou divorcées remariées ne pouvant recevoir l’hostie. La messe s’achève par la bénédiction de l’assistance avec un ostensoir.
Durant une de ces messes, François a appelé à la prudence et à l’obéissance les épiscopats qui à l’annonce du dé-confinement préparé par plusieurs pays européens, voulaient rouvrir au plus vite les églises au culte dominical. Cette intervention eut l’effet d’une douche écossaise sur les catholiques les plus impatients. Comment l’interpréter ? Une anecdote remontant au temps de son épiscopat en Argentine, relatée par son biographe, éclaire sur la vision cultuelle du pape François. Pendant une messe de requiem pour les victimes d’un incendie dans un dancing de Buenos Aires, l’archevêque avait surpris l’assistance en interrompant la messe, en quittant l’autel, pour aller consoler une mère éplorée hurlant sa douleur…
Une Eglise « hôpital de campagne », pas en campagne pour elle-même
Le pape n’a pas changé de style ni de préoccupation depuis le temps où les Portenos (les citadins de Buenos Aires) et les habitants des bibonvilles (les villas miseras) qu’il visitait chaque dimanche, l’appelaient simplement « Padre Jorge » : les victimes de la maladie, de l’injustice ou de la violence, insiste-t-il dans « La Joie de l’Evangile », le texte programmatique de son pontificat, sont comme « des terres sacrées devant lesquelles on s’agenouille ». Pour lui, l’Eglise est « un hôpital de campagne » au service des plus vulnérables, pas une Eglise en campagne pour elle-même. Face au risque de reprise de la pandémie du Covid 19, le pape François maintient ferme le cap d’une Eglise » en sortie », dé-confinée de ses seuls intérêts et en empathie avec le monde.
Dans un essai fameux intitulé « La Messe sur le monde »**, le jésuite et paléontologue français Pierre Teilhard de Chardin, avait développé une vision inclusive de l’Eucharistie, englobant le cosmos et tous les peuples : « Je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde « , écrivait-il. Lecteur averti de Teilhard, François dédie chaque messe à Sainte-Marthe aux divers protagonistes de la crise sanitaire : les malades, les soignants, les gouvernants, les anonymes de la solidarité, etc. Il élargit ainsi l’espace réduit de la célébration aux dimensions du monde.
François, ou « Padre Jorge » découvert par des millions de téléspectateurs rivés à leurs écrans télés ou électroniques, dit ainsi chaque matin la messe sur une humanité confinée.
Michel COOL
*Austen Ivereigh, « François le réformateur. De Buenos Aires à Rome », Editions Emmanuel, 2017.
** Pierre Teilhard de Chardin, « La Messe sur le monde », Collection Carnets DDB, Desclée de Brouwer, 1996.