Lucile, chère,

   Je réponds à votre lettre du 15 juillet, que j’ai reçue avec la même joie que les autres. Ne vous « énervez » pas, chère, parce que vous avez le sentiment de ne rien accomplir. Votre principal travail, pour le moment, est d’être en contact avec le monde occidental, et de rendre heureux vos proches. Le temps viendra pour vous de réaliser et d’utiliser ce que vous engrangez pendant votre repos actuel. La grande sagesse (et pas la plus facile) est de prendre et de recevoir, (et d’aimer) la vie comme elle est, et par degrés (*telle quelle*, et *à mesure*). Je crois réellement que le *contact* le plus profond entre Dieu et nous passe par le rythme du temps, que nous ne pouvons ni interrompre, ni accélérer – le rythme de la naissance du monde.

   Ne vous inquiétez pas non plus si vous éprouvez encore de la difficulté à saisir ce que j’entends par « Christ universel ». Laissez seulement croître en vous l’intérêt (*le goût*) pour la valeur du Personnel, et gardez aussi bien clairement à l’esprit que le Personnel (en son sens éminent) ne se limite pas à l’« individualité » : petit à petit vous comprendrez ce que signifie l’amour de Dieu. Votre idée est bonne de relire l’Evangile dans un nouvel esprit. Mais dans beaucoup de passages de l’Evangile, vous rencontrerez principalement l’Homme-Jésus. Pour découvrir « mon » Christ, voyez surtout Jean, et aussi (dans ses meilleurs passages, qui ne peuvent vous choquer) Paul : en commençant par les Epîtres aux Ephésiens et aux Colossiens. A Pékin, je vous montrerai ces passages (j’en ai jadis rempli un cahier entier). […]

Pierre Teilhard de Chardin – Lucile Swan – Correspondance, Lessius 2009, p. 87

Extrait proposé par Jean-Marie L’HONEN, Groupe de lecture de BATZ-SUR-MER