Octobre 1923, à sa cousine Marguerite Teillard-Chambon, de retour de sa première excursion géologique en Mongolie. 
       […] Je n’aurai rien vu en Mongolie qui ait éveillé en moi de « l’autre vie ».
       Pèlerin de l’Avenir, je reviens d’un voyage entièrement accompli dans le Passé.  
      Mais est-ce que le passé, vu d’une certaine manière, n’est pas transformable en avenir ? Est-ce-que la conscience plus étendue de ce qui est et de ce qui fut n’est pas la base essentielle de tout progrès spirituel ? Est-ce-que toute ma vie de paléontologue n’est pas soutenue par l’unique espoir de coopérer à une marche en avant ?  […]
     A travers les civilisations qui se déplacent, le Monde ne va pas au hasard ni ne piétine, mais sous l’universelle agitation des êtres, quelque chose se fait, quelque chose de céleste sans doute, mais de temporel d’abord. Rien n’est perdu dès ici-bas pour l’Homme, de la peine de la croissance de l’Univers, je m’inquiétais de n’avoir vu au cours de ce voyage que les traces d’un monde évanoui. Et pourquoi donc cet émoi ?  Le sillage laissé derrière elle par l’humanité en marche nous révèle-t-il moins bien son mouvement que l’écume jaillie, ailleurs, sous l’étrave des peuples ?

 Le 8 septembre 1935, à bord du Cathay, sur la Mer Rouge, au Père Maréchal.
     Le Passé m’a révélé la construction de l’Avenir. Et la préoccupation de l’avenir tend à tout balayer. […] Maintenant que la découverte fondamentale est faite, à savoir que nous sommes portés par une onde marchante de conscience, que reste-t-il d’important à trouver derrière nous ? 

Le 14 septembre 1935, toujours sur le Cathay, à son frère Joseph.
      Et me voici encore une fois rendu à mon existence vagabonde. L’enthousiasme n’a plus sa fraicheur d’antan. Mais j’aime à suivre la destinée et à m’y fier. Jamais, en fait, je ai moins su où elle me menait. Probablement vers rien autre chose que de nouveaux déplacements, jusqu’à ce que je finisse au bord d’une route. Mais ceci même, peut-être, à sa signification.

Le même jour, à Max et Simone Begouën.
[…] J’ai écrit un court article sur « la découverte du Passé »*. […] Finalement, je conclus qu’il n’y a qu’une seule vraie manière de découvrir (enseignée par les recherches de l’histoire), c’est de construire l’avenir. C’est tout simple, mais il y a encore tant de gens qui font comme si le passé avait de l’intérêt en soi et le traitent comme seul le mérite l’avenir.
Et voilà. Gardez bien votre lumière et votre sourire. Plus de gens en vivent autour de vous que vous ne pensez. Et soyez sûrs de ma toujours croissante affection.
Teilhard.

* a été publié dans les Études, le 20 novembre 1935. T. III, p. 257-269.

(Lettres de voyage 1923-1955, François Maspero/ La Découverte, 1982, p. 104-106, p. 230, p. 230, p. 231-232) – Sur une idée initiale de Francine RENAUDEAU, Groupe de lecture de La Baule-Escoublac.

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Et pour aller plus loin  relire Terre promise, essai écrit par Pierre Teilhard, en  février 1919,à Goldscheuer, dans le pays de Bade. A sa cousine Marguerite, il écrit que dans ce texte il « cherche à préciser ce qui nous reste de l’effort de la guerre, parmi les déceptions de la paix,  et cherche à montrer  que c’est la conscience que nous avons prise, un instant, de la foce spirituelle incluse dans l’union ». (Genèse d’une pensée, Grasset, 1961, p. 370). Cet essai est publié dans  Les Ecrits du temps de la guerre,  T. XII, Seuil 1965, pp. 415-428). Proposé par Henri François PONCET, Groupe de lecture de Carcassonne.