[…] Comme je le répète à tous les échos depuis un an, le grand évènement des temps modernes est, pour nous, de découvrir que, pour l’Homme, enfermé sur et en lui-même, il y a une issue en avant (par auto-développement de quelque chose au-delà de l’Homme) — alors que, jusque-là, on ne voyait d’issue qu’en haut (par évasion en Dieu). C’est l’aurore de cette « foi en l’Homme » qui fait mine d’éclipser la traditionnelle foi en Dieu. Ma conviction, dans ces conditions, est que si l’« en avant » (poussé jusqu’au bout) ne se comprend pas sans quelque « en haut », — en revanche l’« en haut » se comprend encore moins sans un « en avant » : ce qui veut dire que la foi chrétienne ne peut survivre et rebondir qu’en incorporant la foi au progrès humain. Et ma conviction, en plus, est que si cette synthèse parvenait à s’opérer entre la foi en Dieu et la foi en l’Homme, on reverrait (et en beaucoup plus universel et intense) ce qui s’est passé quelquefois dans l’histoire (par exemple avec le bouddhisme, le christianisme et le marxisme) : je veux dire, la propagation, comme un feu, d’un nouvel état d’esprit. Et n’est-ce pas ce climat, cette atmosphère nouvelle, qui manque encore pour que nos incroyables puissances techniques arrivent à produire leur effet naturel d’unification humaine ?
Je me demande si, d’Amérique, vous avez l’impression de voir un peu plus clair dans la situation politique, économique et psychologique du Monde. Ici, on continue à vivre comme si on tombait du sixième étage : c’est-à-dire avec l’impression que, incessamment, il est inévitable qu’une radicale transformation se produise. Mais où, et de quelle espèce ? Et il y a encore des gens pour ne pas sentir que l’Humanité est le sujet collectif d’une véritable évolution ! […]
Accomplir l’homme – Lettres inédites (1926-1952), Grasset, 1968, p. 124-125.
Sélection de Guy Assens du Groupe de lecture de Carcassonne.
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